Parfois, un film dit exactement ce qu’on n’arrive pas à formuler soi-même. Et ça fait du bien.
Cet article s’adresse aux personnes en souffrance psychique, aux thérapeutes, ainsi qu’à toute personne curieuse de découvrir comment le cinéma peut devenir un outil d’introspection, de transformation, et de soutien émotionnel, seul ou en groupe.
Depuis plusieurs décennies, le cinéma ne se limite plus au divertissement. Il peut toucher, faire réfléchir, éveiller la conscience. Parfois, une scène, une phrase ou un personnage fait soudain écho à ce que nous ressentons sans pouvoir le dire. C’est cette résonance émotionnelle qui est au cœur de la cinémathérapie, une approche utilisée en individuel ou en groupe pour encourager l’expression, la prise de recul et, parfois, la transformation personnelle.
La cinémathérapie (ou filmothérapie) désigne l’utilisation de films ou d’extraits de films dans un cadre thérapeutique. Elle peut être proposée :
L’objectif n’est pas d’analyser le film, mais de se servir de ce qu’il provoque en soi comme point de départ pour explorer ses émotions, ses pensées ou son vécu.
Ce n’est pas “juste” regarder un film. C’est le vivre, le digérer, et voir ce qu’il réveille en nous.
Des émotions puissantes
Une méta-analyse menée en Espagne par Fernández-Aguilar et al. (2019), publiée dans PLOS ONE, a compilé les résultats de 43 études expérimentales portant sur des adultes (Espagne, États-Unis, Canada). Elle montre que les films sont parmi les outils les plus efficaces pour induire des émotions authentiques (positives ou négatives) en laboratoire. Ces réactions sont reproductibles et mesurables, ce qui fait du cinéma un outil fiable pour activer l’émotion en thérapie.
Une revue systématique dirigée par l’Université de Pavie en Italie (Sacilotto et al., 2022), publiée dans Frontiers in Psychology, a analysé 38 études qualitatives et expérimentales menées dans plusieurs pays européens. Elle conclut que le cinéma :
Le modèle MOVIE, proposé par Hamilton (2023) [Unverified], est une approche structurée pour intégrer le cinéma en psychothérapie, notamment auprès de personnes ayant vécu un traumatisme.

| Lettre | Étape | Objectif thérapeutique |
| M | Mindful engagement | Cette première étape consiste à choisir une œuvre de manière réfléchie. L’idée est de sélectionner un film qui peut potentiellement correspondre aux besoins émotionnels ou thérapeutiques du moment. Puis, avant de commencer le visionnage, il est nécessaire de prendre un moment pour évaluer son état mental et émotionnel. |
| O | Observation of reaction | Pendant le visionnage, il s’agit d’observer attentivement ses réactions émotionnelles, cognitives et physiques. Cette observation doit être réalisée sans jugement. Cela permet ainsi une prise de conscience des effets du film sur son état intérieur. |
| V | Verbal expression | Après avoir vu le film, il est crucial de mettre des mots sur les émotions ressenties. Cette étape peut se faire par écrit, à travers un journal, ou verbalement, en discutant de l’expérience avec un thérapeute, un groupe de soutien ou un ami. L’expression verbale aide à clarifier et à cristalliser les émotions et les pensées éveillées par le film. |
| I | Identification of personal relevance | Cette étape consiste à relier les événements et les thèmes du film à sa propre vie. Il convient de réfléchir à la manière dont le film reflète ses propres défis, valeurs ou expériences. En établissant un lien entre le contenu du film et la vie personnelle du spectateur, l’expérience devient plus significative. |
| E | Exploration of new possibilities | Enfin, la dernière étape consiste à réfléchir à de nouvelles perspectives et à envisager différentes manières d’appliquer les leçons ou les inspirations tirées du film dans sa propre vie. Cela peut inclure la modification de comportements, l’adoption de nouvelles stratégies de résolution de problèmes ou simplement une prise de conscience accrue des options disponibles. |
Et si tu veux essayer seul(e) chez toi ?
Choisis un film qui te touche ou t’intrigue. Prends un moment pour t’ancrer avant le visionnage. Après le film, note ce que tu ressens, ce que tu retiens, ce qui te parle. Tu peux ensuite en discuter avec quelqu’un de confiance ou dans un groupe de parole.
| Films | Thèmes thérapeutiques | Exemple de cas où on peut en parler au patient | Effets possibles sur le patient | Lien vers la bande-annonce |
| Good Will Hunting (1997) | Trauma, attachement, alliance thérapeutique | Jeune homme en rupture familiale, méfiant vis-à-vis de la thérapie. Refus de vulnérabilité. | Sentiment d’être « vu », ouverture à la relation thérapeutique, début de verbalisation émotionnelle. | https://www.youtube.com/watch?v=f3v9pRa5dR8 |
| Inside Out (2015) | Régulation émotionnelle, deuil, enfance | Enfants avec troubles anxieux ou de l’humeur ; difficulté à identifier ou exprimer les émotions. | Compréhension normalisante des émotions, diminution de la honte face à la tristesse, augmentation du vocabulaire émotionnel. | https://www.youtube.com/watch?v=SYLrpcNTVwE |
| A Beautiful Mind (2001) | Schizophrénie, stigma, insight | Adultes ayant vécu un premier épisode psychotique ou en rétablissement. | Déstigmatisation, sentiment d’espoir, reconnaissance des mécanismes de défense et de la résilience personnelle. | https://www.youtube.com/watch?v=EajIlG_OCvw |
| The Perks of Being a Wallflower (2012) | Traumatisme, solitude, adolescence | Adolescent silencieux, introverti, ayant subi abus ou deuil refoulé. | Identification apaisante, émergence de souvenirs, ouverture à une première narration de son vécu. | https://www.youtube.com/watch?v=n5rh7O4IDc0 |
| The Shawshank Redemption (1994) | Résilience, injustice, isolement | Adultes vivant l’exclusion (prison, précarité, migration). | Réactivation du sentiment de dignité, espoir, reprise de projection vers un avenir. | https://www.youtube.com/watch?v=PLl99DlL6b4 |
| Fight Club (1999) | Dissociation, quête d’identité, critique sociale | Jeune adulte en crise existentielle, colère intériorisée, pensées radicales ou nihilistes. | Mise à distance par la fiction, identification partielle, amorce d’une réflexion critique sur les injonctions sociales. | https://www.youtube.com/watch?v=c_Sf-XY3t-I |
Mais attention : quand un personnage nous touche trop, il arrive parfois qu’on se confonde un peu avec lui. Il est important de garder une petite distance intérieure, ou de pouvoir en parler après coup avec quelqu’un.
Le cinéma peut aussi réveiller des souvenirs douloureux ou créer une surcharge émotionnelle. Certaines personnes, notamment celles ayant une faible capacité de mentalisation, un trouble dissociatif, un trouble de stress post-traumatique ou une fragilité psychotique, peuvent être plus vulnérables à ces effets.
Comme le rappelle Tan (2018), l’intensité émotionnelle d’un film peut parfois dépasser nos capacités d’autorégulation. Il est donc essentiel :
Les films peuvent devenir de puissants déclencheurs de parole lorsqu’ils sont utilisés dans un cadre collectif.
En thérapie de groupe, animée par un professionnel, la projection d’un film offre un support partagé autour duquel chacun peut explorer ses ressentis, en écho à ceux des autres. Le récit filmique agit comme un miroir commun, réduisant les résistances et facilitant l’expression émotionnelle (Psychology Today, 2013).
Dans les groupes de soutien entre pairs, où le partage d’expérience est central, les scènes projetées permettent souvent de mettre des mots sur des vécus difficiles, tout en favorisant un sentiment d’appartenance et de compréhension mutuelle (Fernández-Aguilar et al., 2019 ; Sacilotto et al., 2022).
Plusieurs études, comme celle publiée sur ResearchGate (2014), montrent que la cinémathérapie en groupe peut réduire l’anxiété et renforcer l’engagement émotionnel. Ces espaces partagés offrent ainsi un cadre contenant et bienveillant, où les émotions suscitées par la fiction deviennent un levier de transformation personnelle — à condition de choisir les films avec soin et d’ouvrir un espace de discussion après la projection.
Le cinéma, en tant que miroir émotionnel, devient un outil thérapeutique à la fois accessible, puissant et flexible. Bien utilisé, il permet de nourrir l’introspection, de désamorcer certaines résistances et d’ouvrir des pistes de transformation psychique. La cinémathérapie n’a pas vocation à remplacer une thérapie conventionnelle, mais elle peut en être un formidable catalyseur.
Envie d’essayer ? : Si tu ressens l’envie d’explorer certaines émotions à travers des films, n’hésite pas à rejoindre un groupe de parole ou un groupe thérapeutique. Tu peux consulter les groupes disponibles sur la plateforme Healing Together. Tu y trouveras peut-être un espace bienveillant où les histoires du cinéma résonnent avec la tienne.
💛 Parce qu’un film peut parfois dire ce que les mots n’osent pas encore formuler, j’espère que ces pistes vous aideront à explorer, ressentir… et peut-être, commencer à guérir – Apolline, de Healing Together 💛
Sources utilisées :
Fernández-Aguilar, L., Navarro-Bravo, B., Ricarte, J., Ros, L., & Latorre, J. M. (2019). How effective are films in inducing positive and negative emotional states ? A meta-analysis. PLoS ONE, 14(11), e0225040. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0225040
Sacilotto, E., Salvato, G., Villa, F., Salvi, F., & Bottini, G. (2022). Through the Looking Glass : A Scoping Review of Cinema and Video Therapy. Frontiers In Psychology, 12. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2021.732246
Hamilton, J. (2023). Movies on the Couch : The MOVIE model of film therapy. https://doi.org/10.20944/preprints202301.0176.v1
Tan, E. S. (2018). A psychology of the film. Palgrave Communications, 4(1).
https://doi.org/10.1057/s41599-018-0111-y
https://se-realiser.com/filmotherapie-modele-movie
Dumtrache, S. D. (2014). The Effects of a Cinema-therapy Group on Diminishing Anxiety in Young People. Procedia – Social And Behavioral Sciences, 127, 717‑721. https://doi.org/10.1016/j.sbspro.2014.03.342